Médecins Sans Frontières - Là où ça fait mal
Publié le 20 décembre 2023 par Laurent Moncomble
Lecture 2 min.

Médecins Sans Frontières - Là où ça fait mal

On réduit trop souvent leur champ aux seules entreprises commerciales. Dans l'humanitaire aussi, les slogans jouent leur rôle et obéissent aux mêmes lois. Illustration avec la signature de marque des French Doctors.

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On peut dire peu et évoquer beaucoup. Parler du mal pour dire le bien. Ramener l’ailleurs jusqu’ici. Et obtenir de l’argent sans en demander. La sortie récente, en affichage et en radio, de la dernière campagne de Médecins Sans Frontières, a remis sur le devant de la scène ce que je considère comme l’une des meilleures signatures de ces derniers temps*. 

À mes débuts de rédac, j’avais pour bible « Les mots de la publicité » de la passionnante Blanche Grunig aux Éditions du CNRS (à tout rédac qui commence, je recommande vivement de trouver ce livre d’occasion). Le passage sur les formes figées m’a durablement marqué. Elle considérait que « si la formule figée n’existait pas, le slogan publicitaire perdrait l’un de ses auxiliaires les plus précieux ». Elle y expliquait comment la publicité travaille les idiomes et les proverbes dans le but de gagner en mémorisation. Le slogan est plus facile à retenir quand il s’inspire d’une expression figée déjà stockée dans la mémoire collective. Elle comparait moult slogans aux formes figées d’origine et calculait le nombre de changements opérés par le rédacteur. Quels étaient les phonèmes, leur nombre, à quelle place, les rimes, les allitérations, etc. Moins il y avait d’altération, meilleur était le slogan. 

Quand Florette dit Vite fait, bien frais, la marque défige une expression en lui ajoutant seulement une lettre. En quatre mots, elle peut évoquer la rapidité, la qualité du travail bien fait et la fraîcheur. Pas mal. On peut même pousser plus loin dans la substitution, pourvu que le lecteur identifie la forme d’origine. Quand Interflora dit Qui sème les fleurs récolte la tendresse, la première partie du proverbe est à peine reconnaissable. Le masculin singulier est devenu féminin pluriel et il n’y a aucune référence phonétique. Ce qui rend la manipulation possible, c’est la puissance du « qui sème […] récolte » et le sublime « la tendresse / la tempête ». Sans compter que semer des fleurs, c'est plus productif que du vent. Les neurones s’agitent alors à l’endroit où était rangé le proverbe, et l’individu apprécie qu’on lui fasse ainsi pétiller le cortex. Qui vole un œuf vole une poule, mais emprunter un proverbe, ça passe.

Des exemples de formules détournées, il en existe pléthore. Le rêve de tout rédacteur, le Graal publicitaire, c’est de dégoter LA forme figée qui, telle quelle, intacte, traduira parfaitement la stratégie de son client. Grésillon et Maingueneau, linguistes émérites, avaient remarqué il y a quarante ans qu’« être proverbe, c’est bien l’idéal du slogan. » Mais face à la difficulté, être slogan c’est aussi très chouette pour un proverbe. Et pratique pour le rédac. Bien entendu, clame Audika. Ça coule de source, susurre Cristaline. C’est tout un programme, enchaîne TF1.

La première force de Là où ça fait mal, la signature de Médecins Sans Frontières, c’est donc bien de reprendre un morceau d’une expression connue de tous. Le génie, c’est d’avoir réussi à le faire avec une expression négative. Appuyer là où ça fait mal, c’est déceler le défaut, le point sensible, le sujet qui dérange, le talon d’Achille de quelqu’un et prendre un malin plaisir à le faire savoir, à y revenir, pour diminuer cette personne. Appuyer là où ça fait mal, c’est un truc de sadique. Appuyer là où ça fait mal, il suffit de l’entendre et d’avoir un peu d’empathie pour la ressentir la douleur. Maintenant supprimez le verbe, placez ce qui reste dans le contexte de l’aide humanitaire, et la formule devient éminemment positive. Mieux, elle se met à raconter une histoire avec une profondeur incroyable.

Lors de leur création en 1971, par Bernard Kouchner entre autres, Médecins Sans Frontières utilisait ce claim inoubliable : Dans leur salle d'attente, 2 milliards d'hommes. Autant dire la planète nécessiteuse. La voilà la mission de ces french doctors, dont le nom dit bien qu’ils ne vont pas rester ici. Sortir de nos frontières pour aller soigner là-bas. Là où des populations souffrent. Là où un tel soulagement ne serait pas possible sans eux. Là où ça geint. Là où ça pleure. Là où ça fait mal. Et malheureusement pour l’époque, des là-bas de malheur, il y en a des tas. La première campagne en montrait certains, avec des accroches aussi littéraires que possible. On se débrouille toujours pour être au mauvais endroit au mauvais moment. Quand on souffre loin, est-ce qu’on souffre moins ?  Quand faut pas y aller, il faut y aller. La toute dernière les nomme et nous explique ainsi sans forcer pourquoi il faut donner. Ces distances à franchir, ces matériels à acheminer, ces lieux à occuper et ces humains à secourir, ils ne sont plus loin. Ils sont là. Sous nos yeux. On se doute bien que tout ça a un coût. Qu’il faut de l’argent. Ce n’est pas dit. C’est évident. 

D'ailleurs, le 31 au soir, c’est la date limite pour que 75 % de votre don soit déduit de votre impôt sur le revenu l’an prochain. En clair, si vous pensiez donner 10, donnez 40. Ça ne vous fera pas plus mal de faire quatre fois plus de bien. 


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PS. pour finir dans la légèreté : le plus grand déformateur de proverbes n’est pas publicitaire, il s’agit de Jean Perron, ancien entraîneur de hockey et commentateur sportif au Québec. Ses maladresses ont été recensées et rassemblées sous le néologisme de perronisme. Mes 3 préférées : « Arriver comme un cheval sur la soupe. » « Il a pris la foudre d'escampette. » « Ça m'a mis l'astuce à l’oreille...  

* Créée en novembre 2022. Agence : Les Présidents

Passionné des mots depuis petit, concepteur-rédacteur après, Laurent Moncomble est aujourd’hui directeur de création, cofondateur de l'agence Benedicte et de la République des Rédacs. 

Commentaires

1 commentaire
Commenté par philippe grandLe 8 janvier 2024 12:32
parfait, en 10 caractères !

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